La jungle juridique est souvent opaque pour les entrepreneurs, en particuliers pour les e-commerçants et les web-entrepreneurs. Nous revenons sur des exemples précis d’erreurs juridiques réalisées par des entrepreneurs, pour vous permettre de ne pas les reproduire et de faire grandir votre activité sans stress juridique.
1. Proposer des produits interdits ou limités à la vente
En dehors des professions réglementées, il existe un nombre immense de possibilités de vente. Mais le e-commerce n’est pas un eldorado infini pour autant.
Par exemple, le site www.ticket-concert.com proposait à la vente des billets de concerts pour Mylène Farmer, Björk, Eminem et d’autres artistes sans l’autorisation des organisateurs. Cela est interdit par l’article 3 de la loi du 12 mars 2012 (article 313-6-2 du code pénal). En conséquence, le tribunal de commerce de Nanterre a demandé en 2013 au site de retirer ces produits et d’afficher sur sa page d’accueil le résultat du jugement.
Une sanction logique pour ce site, dont la vente de ces billets était la principale source de revenus. En conséquence, le site a fermé quelques mois après… Ce genre d' »oubli légal » peut mettre en péril le business model même de votre entreprise !
2. Oublier de protéger son nom de domaine
Vous le savez déjà, déposer sa marque et son nom de domaine sont des pré-requis importants pour lancer son activité sereinement et éviter de futurs litiges. Mais l’expérience d’autres entrepreneurs prouve qu’il ne suffit pas de déposer sa marque et de réserver un nom de domaine pour être à l’abri.
La société qui gère le site e-obseques.fr en a fait les frais en 2013, lorsqu’un de ses concurrents a déposé le nom de domaine i-obseques.fr, pour proposer une activité similaire. La confusion était alors forte entre les deux sites, ce qui a déplu à la société gérant e-obseques.fr. La justice, saisie par le site e-obseques, a tranché et précisé qu’il ne pouvait pas y avoir de propriété intellectuelle sur des termes descriptifs dans des noms de domaine. Autrement dit, les deux sites peuvent co-exister avec des activités concurrentes.
Voici le genre de mésaventure juridique dont la société aurait pu se prémunir. Comment ?
- en consultant un avocat en propriété intellectuelle pour recueillir ses conseils
- en déposant des noms de domaine proches de sa marque, pour éviter une concurrence trop facile. L’entrepreneur aurait en effet pu réserver (rappelons que cela coûte 10€ par an) i-obseques.fr mais aussi e-obseque, i-obseque, iobseques ou encore web-obseques.
3. Se porter caution solidaire de son entreprise
Lors de la négociation d’un prêt avec la banque, le banquier sera vraisemblablement amené à vous demander de vous porter caution solidaire, c’est-à-dire de garantir vos biens personnels en cas de difficultés de la société à rembourser le crédit.
Ce qui est peut être tentant, d’autant plus si vous avez confiance dans votre activité et dans son développement est en fait un véritable piège, car il est nécessaire de bien séparer les actifs professionnels et vos biens personnels pour éviter les mauvaises surprises. On ne sait jamais ce qui peut arriver à sa société, le monde des affaires avance vite et il y a des obstacles à chaque coin de rue. On ne mélange pas ses biens personnels avec ses affaires.
Le problème : certains banquiers en feront un critère non négociable pour accorder le prêt. Le métier des banquiers est de financer l’économie, en se protégeant au maximum, d’où l’existence des cautions solidaires…
Et vous pourriez alors vous retrouver dans la situation de ces entrepreneurs :
Pour éviter cela, refusez net toute demande de caution solidaire ou tentez d’en limiter les effets. Si votre dossier est bon, le prêt vous sera accordé sans demande de caution et à un taux intéressant.
#entrepreneurs : négociez avec votre banque de limiter la portée de votre caution solidaire Click To Tweet4. Oublier de préciser son statut d’hébergeur de contenu
Tout site internet peut être éditeur et/ou hébergeur de contenu :
- Un éditeur rédige et diffuse des contenus sur son site, et en est responsable
- Un hébergeur n’est qu’une plateforme technique qui reçoit des contributions, et n’en est pas responsable.
Ces concepts ont pu être flous par le passé mais ont été notamment précisés par la Cour de Cassation en 2011 :
Désormais, est hébergeur l’intermédiaire informatique qui effectue des prestations purement techniques (Arrêt DAILYMOTION) en vue de faciliter l’usage du site internet par le public (arrêt FUZZ).
Source : JDN
Peu importe, donc, que le site exploite pour de l’argent les contenus laissés par les internautes ou non.
Mais en pratique les détails sont un peu plus complexes. Dailymotion, qui rentre bien dans la catégorie des hébergeurs a été condamné fin 2014 à 1,2 million d’euros de dommages-intérêts envers TF1, pour n’avoir pas retiré des vidéos qui avaient pourtant été signalées comme illicites. En effet, le statut d’hébergeur oblige tout de même à retirer les contenus illicites un fois que ces derniers sont signalés.
Et par ailleurs certains abus ont créé de nouveaux litiges :
Toutefois cette définition est imprécise. En pratique, la frontière entre la notion d’hébergeur (intermédiaire technique protégé) et celle d’éditeur (qui ne bénéficie d’aucun régime de responsabilité aménagé) a été source de contentieux car nombre d’éditeurs se qualifiaient d’hébergeurs afin de voir diluer leur responsabilité sur les contenus.
Source : JDN
En quoi cela vous concerne ?
Un gérant de site de e-commerce, par exemple, est éditeur de contenu : vous êtes responsable du contenu des fiches produits, des pages d’information et des pages du blog par exemple. Mais si vous avez des espaces de commentaires, un forum, des champs de libre expression, un annuaire, un espace pour poster des vidéos … vous pouvez devenir hébergeur de ces contenus particuliers.
Il faut donc :
- Bien avoir à l’esprit pour quelles parties de votre site vous avez un statut d’hébergeur, et pour lesquelles vous avez la qualité d’éditeur
- Précisez dans vos CGU et/ou, le cas échéant, vos CGV la nature de votre responsabilité. Par exemple, cette mention vue sur un blog de particulier :
Responsables de site #ecommerce : vous êtes à la fois #hebergeur et #editeur de contenus ! Click To Tweet« en tant qu’hébergeur de commentaires, mon site n’est pas responsable des contenus qui pourrait y être déposés. Nous nous engageons à retirer tout contenu illicite qui pourrait y être déposé (haine raciale, sexisme, discrimination …). »
5. Ne pas respecter les obligations concernant la vie privée
Si votre site web ou votre application mobile collecte des données personnelles, par exemple si vous proposez une newsletter, un espace membre, ou si vous permettez des commandes en ligne, une déclaration du fichier constitué avec ces informations personnelles est nécessaire auprès de la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés). Les internautes qui accèdent à votre service renseignent en effet une adresse mail, ou postale, ou un numéro de téléphone. Et cette activité doit être déclarée à la CNIL.
L’absence de déclaration rend la collecte illicite, et c’est une erreur juridique qui peut avoir des conséquences marketing ; le fichier constitué grâce à cette collecte ne peut pas être vendu, car il n’a pas d’existence légalement.
Par ailleurs votre politique de données doit être communiquée aux utilisateurs du site pour respecter certaines obligations, via par exemple une charte d’utilisation des données personnelles (souvent appelée « charte CNIL », ou « charte de données ») : l’utilisation des cookies notamment est souvent oubliée. Le numéro de votre déclaration à la CNIL doit être affiché dans ce document.
Plusieurs sites de rencontre en ont fait les frais à la fin de l’année 2015, suite à une véritable « descente » de la CNIL, pour contrôler leurs pratiques. Meetic, Attractive World, Adopte un mec, Easyflirt, Rencontre obèse, Destidyll, Forcegay, Mektoube, Jdream, Feujworld, Marmite love, Gauche rencontre, et Celibest ont été audités.
Sur ces 13 sites, 8 ont été mis en demeure pour les raisons suivantes :
- non-recueil du consentement exprès des personnes pour la collecte de données sensibles ;
- non-suppression des données des membres ayant demandé leur désinscription ou ayant cessé d’utiliser leurs comptes depuis une longue durée (droit à l’oubli non respecté) ;
- non-mise en oeuvre de fichiers afin d’exclure des personnes de l’accès au service sans avoir procédé à des demandes d’autorisation auprès de la CNIL ;
- manque d’information auprès des internautes de leurs droits (accès, suppression, rectification) ainsi que des conditions dans lesquelles des cookies sont déposés sur leur ordinateur.
En savoir plus et déclarer votre fichier à la CNIL
6. Se contenter des CGV par défaut de son CMS
Les conditions générales de vente sont obligatoires sur tous les sites web marchands, et de plus en plus de CMS, d’agences ou de créateurs de sites web livrent avec le site une page de CGU/CGV « type », parfois plus ou moins inspirée de sites concurrents… Ce qui bien sûr est loin de convenir pour le site en question, et ne permet pas d’avoir des CGV à jour ! Idem pour les mentions légales, et ce n’est pas qu’une question de pure forme.
Le site du magazine VSD en a fait les frais en 2012. Ses mentions légales et conditions d’utilisation indiquait comme directeur de la publication une personne extérieure à la société (en l’occurrence le gérant de la société OVH !). Dans le cadre d’un litige avec une personnalité publique, VSD n’a pas pu se défendre correctement, à cause de ces mentions légales erronées. Et c’est finalement le gérant d’OVH qui a été condamné, à la place de VSD.
Une erreur bête, qui a coûté des dommages et réparations à VSD et qui aurait pu être évitée par une relecture attentive de leurs conditions d’utilisation.
Passer directement par un avocat, ou utiliser un service de rédaction encadré par des avocats en ligne (comparez les deux possibilités ici) permet d’éviter ces problèmes.
7. Abuser du copier/coller
Lors de la création d’un site en ligne, il est normal de regarder ce que font ses concurrents et de s’en inspirer. Mais il y a une limite à ne pas franchir, qui est celle de la propriété intellectuelle.
Le site fashiondeez.com (désormais inaccessible) en a fait les frais il y a 2 ans. Il avait repris plusieurs éléments particuliers de son concurrent ma-bimbo.com. Notamment des intitulés et un vocabulaire type inventé par le site.
Par ailleurs, le site avait également copié des pans entiers des conditions générales de vente de son concurrent.
Les éléments de texte ou d’images présentés par d’autres sites sont leur propriété. S’il existe un vocabulaire commun à toutes les activités, certaines activités inventent un vocable type, des expressions ou des manières de parler, qui leur sont propres. Les copier est répréhensible.
8. Oublier l’information ou le « bandeau cookies »
C’est un sujet lié à la CNIL, et l’une des erreurs juridiques les plus courantes. Depuis le début de l’année 2014, les éditeurs de sites web français doivent informer leurs visiteurs du dépôt de cookies suite à la visite sur le site. Il s’agit du fameux « bandeau cookies » qui est désormais très répandu.
En application de cette directive, la CNIL réalise des contrôles et sanctionne les sites ne respectant pas la règle. En 2015, 93 mises en demeure ont été adoptées, contre 62 en 2014. 2 procédures de sanction ont été mises en œuvre.
Les secteurs de contrôles sont très larges : les sites de tirage de photos ou de créations d’albums photo, de conseil de santé en ligne, de crédit en ligne, d’adhésion à des partis politiques, de demande d’actes d’état civil … Cela montre que la CNIL n’écarte aucun secteur et que tout site est concerné.
9. Ne pas connaître ses obligations sur le web
La loi Hamon, appliquée en France depuis juin 2014, a obligé les e-commerçants à tenir compte de nouvelles règles dans leur activité. De trop nombreux sites n’appliquent encore que partiellement ces obligations.
Nous ne reviendrons pas dans cet article sur les détails de la loi, que vous pourrez consulter plus bas, mais il est important d’avoir en tête que depuis 2014 pour le e-commerce :
- le droit de rétractation est passé de 7 à 14 jours
- l’envoi d’un courriel de confirmation de commande avec certains éléments indispensables est obligatoire
- le consommateur doit reconnaître explicitement son obligation de paiement par un clic
- les cases pré-cochées sont interdites
- l’ajout d’option au panier sans que le consommateur ne les ait choisies est interdit
- l’affichage des coordonnées d’un médiateur de la consommation est obligatoire (2106)
Plus de détails ici :
10. Ne pas respecter les professions réglementées
Surfant sur le phénomène Uber, de nombreux entrepreneurs se sont mis en tête de concurrencer des professions réglementées, en proposant d’autres services, proches ou identiques, mais avec de nouvelles méthodes, des technologies innovantes, et un nouveau rapport au consommateur.
Ces mouvements sont bénéfiques pour l’économie, et nous les apprécions en tant que consommateurs. Mais en tant que créateurs, vous devez être attentifs. Voici deux exemple de e-commerce qui se sont attaqués à des professions réglementées, et qui ont rencontré des ennuis :
1001pharmacies
1001pharmacies.com propose la vente de médicaments en ligne, mais comme la vente de médicaments est réservée aux pharmacies, le site se positionne comme une place de marché permettant à des officines de commercialiser les produits. En jouant le rôle d’intermédiaire, le site pensait avoir trouvé une solution pertinente.
Mais en aout 2014, le TGI de Paris a enjoint la société à cesser de commercialiser des médicaments sur son site. Le tribunal a jugé que la société jouait un rôle actif dans la vente des médicaments et n’était pas uniquement une solution technique.
1001pharmacies ne commercialise donc plus que des produits de parapharmacie : « Nous ne vendons pas de médicaments sur internet à l’heure actuelle ». Le marché reste important et la société existe toujours, mais le potentiel de ventes a considérablement réduit.
Testamento
Le site testamento.fr a été lancé en 2014 avec une offre innovante : pouvoir rédiger son testament en ligne, sans passer par un notaire. La réaction des notaires a été rapide, avec des interviews dans la presse et des tentatives d’intimidation pour essayer de faire interdire le service. Le service Testamento est légal, mais il se déploie en confrontation directe à une profession notariale qui possède un rôle de protection important auprès des français.
11. Dénigrer un concurrent ou un prestataire
L’instantanéité des réseaux sociaux peut pousser à réagir trop vite à des commentaires ou des tweets et à s’emporter. Cela arrive dans la vie personnelle, mais aussi dans la vie professionnelle, quand il s’agit de discussions avec ou concernant ses concurrents, ses prestataires …
Or dénigrer une société ou un membre de celle-ci sur les réseaux sociaux est un acte puni par la justice ; ne répondez pas à chaud pour éviter des complications juridiques !
Laquelle de ces erreurs juridiques avez-vous commise ?
Cette liste peut certainement être complétée…
Et vous, voulez-vous partager avec nous une erreur juridique réalisée par votre société ou une connaissance ?
Quelques exemples d'erreurs #juridique à éviter en e-commerce Click To Tweet
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