Rappel sur l’histoire du web
20 décembre 1990 : ingénieur au Centre européen de recherche nucléaire, en Suisse, Tim Berners-Lee met en ligne le premier site web, après avoir développé avec un de ses collègues son propre navigateur.
Janvier 2016 : on dénombre plus de 900 millions de sites internet dans le monde.
Une croissance exponentielle qui a parfois débordé et pris de vitesse le droit.
A tel point qu’aujourd’hui il existe un vrai flou et des idées reçues parmi le grand public sur la propriété d’un site et des créations. Les agences web elles-mêmes, ne sont pas bien informées et ne transmettent pas les informations à leurs clients. Elles ne sont d’ailleurs pas toujours bien protégées par leurs conditions générales de vente.
La construction d’une jurisprudence du droit du web
Les juristes et le législateur, en vingt-cinq ans, ont été confrontés à de multiples cas de contentieux et les réponses apportées se sont fondées soit sur une interprétation de la législation existante soit par l’écriture de nouvelles lois.
Quand le contenu d’un blog est supposé diffamatoire, c’est par exemple, pour l’essentiel, en France, la loi sur la presse de 1881 (!) qui a progressivement été utilisée et parfois adaptée au fil des contentieux et jurisprudences.
Sur d’autres plans, le législateur a décidé d’innover, actant de fait l’existence de nouvelles technologies. Le dernier exemple est la loi sur l’économie numérique portée par la secrétaire d’État Axelle Lemaire.
Cependant, c’est bien la première voie qui a en France été le plus souvent retenue, par pragmatisme et à défaut de voir les différents « codes » évoluer aussi rapidement que les technologies et leurs applications.
Qui possède quoi sur un site internet ?
Il en va ainsi de la question de la propriété des sites, de leur ergonomie (graphisme), de leur contenu, de leur nom (de domaine)… Pour l’essentiel, les contentieux apparus au fil du développement d’internet se sont réglés via les dispositions du Code de la propriété intellectuelle et de décisions ayant fait jurisprudence.
« Contrairement au idées reçues, le client qui achète un site web à un prestataire extérieur n’en devient pas pour autant propriétaire. En effet, dès l’instant où il est original, un site web est une œuvre de l’esprit au sens du Code de la propriété intellectuelle. Dès lors, le prestataire qui a développé le site en est l’auteur et, par principe, est titulaire des droits patrimoniaux et moraux attachés à cette qualité » précise d’emblée l’avocat Romain Darrière.
Le client qui achète un site web à un prestataire extérieur n’en devient pas pour autant propriétaire. Click To TweetPropriété intellectuelle d’un site internet
L’article de base qui régit le droit en la matière étant celui-ci (L111-1, alinéa 1er, du Code de la propriété intellectuelle) : « L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. »
Plusieurs décisions de justice ont confirmé ce principe édicté bien avant l’apparition d’internet.
Voici par exemple un attendu de la cour d’appel de Rennes (13 mai 2014).
« Il est constant à cet égard qu’un site internet est susceptible de protection par le droit d’auteur si son créateur démontre que sa facture témoigne d’une physionomie caractéristique originale et d’un effort créatif témoignant de la personnalité de son auteur. »
Le contentieux opposait un ancien salarié d’une agence de création de sites qui s’était mis à son compte mais qui réalisait des sites sur de mêmes bases graphiques et techniques que l’agence dont il était devenu un concurrent.
Dans une autre affaire, la cour d’appel de Versailles a condamné en juillet 2013 une société pour contrefaçon pour avoir mis en ligne un site dont la facture, l’apparence, l’ergonomie étaient semblables à un site d’une autre société (qui plus est dans le même secteur d’activité)…
Pour les juges, réaliser un site est bien une œuvre : « Combiner ensemble différents éléments selon une certaine présentation procède d’une recherche esthétique, nullement imposée par un impératif fonctionnel, qui confère au site une physionomie particulière le distinguant d’autres sites relevant du même secteur d’activité et révèle un effort créatif qui caractérise l’originalité de ce site éligible à la protection par le droit d’auteur instituée au Livre I du code de la propriété intellectuelle. »
Voilà donc pour le « contenant ».
Reste à savoir ce qu’il en est du « contenu ».
Propriété intellectuelle des contenus du site web
Les mêmes principes s’appliquent, ce qui ajoute à la complexité.
A défaut d’être propriétaire du site, si vous êtes l’auteur des textes, images, vidéos qui sont présentés sur le site en question, vous en êtes bien propriétaire.
Si vous êtes un professionnel du e-commerce, cela revient à dire que vous n’êtes pas propriétaire de la vitrine (qui a été réalisée par autrui) mais des produits présentés (que vous avez achetés ou fabriqués).
Des clauses à bien surveiller
On pourrait penser que ce n’est pas un problème en soi. Cela le devient pourtant si vous êtes amené, pour des raisons techniques ou financières, à vouloir faire évoluer votre site (sa présentation, notamment) et éventuellement à changer d’hébergeur et de prestataire.
Une solution existe alors : prévoir, dès les premiers contacts avec l’agence ou le free-lance en charge de réaliser votre site, une clause contractuelle explicite et bien cadrée juridiquement. Cela se fait généralement à travers un contrat de prestation de service.
Les précisions de Me Betty Sfez, Avocat au Barreau de Paris:
« Même pour les offres de création de sites standard, les CGV devront indiquer clairement les prestations comprises dans la proposition, ainsi que les droits accordés au client (simple licence d’utilisation du site, ou cession des droits de propriété intellectuelle au client, qui aura ensuite la liberté de faire évoluer son site, avec ou sans recours au prestataire).
Pour les projets de développement de sites sur mesure, parmi les documents indispensables, les parties devront agréer un cahier des charges, un cahier de spécifications techniques et fonctionnelles et conclure un contrat de conception de site web.
Enfin, le contrat de conception ou de développement de site web devra notamment mentionner les étapes de la création du site, les obligations et les garanties fournies par le prestataire, les conditions relatives à la propriété intellectuelle (et éventuellement la cession au client des droits de propriété intellectuelle sur le site)… »
Les conséquences sur votre activité web
Etre accompagné juridiquement pour la rédaction des clauses et notamment le cession des droits de propriété n’est donc pas inutile, loin s’en faut.
A noter enfin, mais c’est vrai pour les professionnels comme les particuliers, que vous devez évidemment vous assurez des droits d’auteurs inhérents aux contenus que vous mettez en ligne.
Dans le domaine du e-commerce, si vous ne vendez pas vos propres produits, le fabricant ou fournisseur peut par exemple vous mettre à disposition une photo du produit et une fiche descriptive.
Si vous reproduisez la photo telle quelle, assurez-vous qu’elle n’est pas « protégée ». Quitte à mentionner par exemple : Photo société X (nom du fabricant ou fournisseur).
Idem pour la fiche produit, sauf si vous la réécrivez.
Nos Conseils :
– Lors de toutes les étapes de création du site, en cas d’appel à un prestataire, bien encadrer les clauses relatives à la propriété intellectuelle, et dans la mesure du possible, négocier une cession des droits à votre profit (cela induit un surcoût, mais peut à terme être synonyme d’économies).
– Pour l’insertion de contenu. Si vous sous-traitez, là encore, vous devez prévoir une clause pour transférer à votre profit le droit de propriété du texte, de l’image ou autre.
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